Épicure ou « la santé de l’âme »

Ὁ θάνατος οὐδὲν πρὸς ἡμᾶς…

La riche philosophie d’Épicure ne peut se résumer à ses maximes, rapportées par Diogène Laërce. Elles sont cependant une introduction à ce qui nous reste de son œuvre, qui nous incite à pratiquer la philosophie comme un remède contre ce qui accable l’humanité, en particulier la peur de la mort. « Le charme de cette doctrine (qui) égalait la douceur des sirènes » en appelle à la fois à la raison, à la connaissance des lois naturelles ou physique, et à une éthique de vie fondée non pas tant sur le plaisir effréné, comme on l’a cru dès l’Antiquité, mais sur une forme d’ascèse. Épicure nous enjoint d’accepter le plaisir quand il se présente, de nous contenter de peu, de vivre entourés d’amis, d’éviter les excès et les injustices, de « cultiver notre jardin », et de ne pas craindre la mort. Et maintenant, une petite dose du pharmakon épicurien sous forme de florilège !

La mort n’est rien pour nous. Car ce qui est en dissolution est privé de sentiment, et un corps privé de sentiment n’a plus rien qui nous concerne.

Le comble du plaisir est l’absence de la douleur. Ce but une fois atteint, tout le temps que le plaisir subsiste il n’y a pour nous ni souffrance ni tristesse.

Le bonheur de la vie est inséparable de la prudence, de l’honnêteté et de la justice ; d’un autre côté, ces vertus elles-mêmes sont inséparables du bonheur. Quiconque ne possède ni la prudence, ni l’honnêteté, ni la justice, ne vit point heureux.

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« La ville entière fut remplie de cadavres » : massacres à Rome

Τοιαῦτα μὲν περὶ τὰς σφαγὰς ἐγίγνετο…*

Nous sommes en 43 avant J.-C., un an après l’assassinat de César. Antoine, Lépide et Octave, futur Auguste, s’accordent sur un partage du pouvoir surnommé second Triumvirat. Cet accord permet aux triumvirs de faire placarder dans Rome la liste de leurs ennemis respectifs à abattre : c’est la proscription. Sylla devenu tyran avait déjà ouvert la sinistre voie en -82 des confiscations de biens et des meurtres de citoyens romains. Une nouvelle fois, les meurtres arbitraires exécutés sans jugement reprennent au cœur de Rome, ciblant principalement les membres du Sénat favorables à la restauration de la République. Dotés de pouvoirs exceptionnels par la lex Titia, les triumvirs sont les commanditaires de violences que l’historien romain mais de langue grecque Dion Cassius décrit avec une horreur non dissimulée : toute piété, tout respect humain, toute mesure sont abandonnés, l’amitié est reniée, la pitié, foulée au pied. Un tableau remarquable des conséquences sanglantes et absurdes de la guerre civile.


« L’accord ainsi conclu et juré, ils se hâtèrent de marcher sur Rome, en apparence pour y commander avec une égale autorité, mais chacun avec la pensée de posséder seul le pouvoir, bien que des prodiges, auparavant très significatifs et alors encore très clairs, les eussent à l’avance instruits de ce qui devait arriver (…).

On était encore, pour ainsi dire, dans cette situation, lorsque les meurtres dont Sylla avait donné l’exemple par ses proscriptions se renouvelèrent, et la ville entière fut remplie de cadavres.

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« Il a tout subjugué, tout envahi » : Démosthène contre Philippe

 Ὁρᾶτε γάρ, ὦ ἄνδρες ᾿Αθηναῖοι, τὸ πρᾶγμα, οἷ προελήλυθ’ ἀσελγείας ἅνθρωπος…*

Amphipolis, Potidée, Méthone, la Thessalie, et pour un peu, les Thermopyles… Philippe de Macédoine ne cesse de conquérir, de menacer Athènes, de la priver de ses possessions, de se rapprocher de l’Attique. Le célèbre orateur Démosthène s’adresse aux Athéniens dès 351 av. J.-C., dans un discours extraordinaire aux accents patriotiques surnommé la Première Philippique, pour les faire renoncer à une paix illusoire avec Philippe et les pousser à prendre les armes. Se lançant ainsi dans un combat de près de 30 ans contre la Macédoine, qui se soldera par un échec politique et personnel, Démosthène met au cœur de son discours la nécessité de restructurer l’armée et la flotte, soumettant Athènes au choix de Thucydide : se reposer ou être libre.

« L’un d’entre vous, peut-être, pensant à cette nombreuse armée dont Philippe dispose, et à toutes les places qu’il a enlevées à la cité, le croira difficile à réduire : ce serait raisonner juste. Cependant, qu’il considère qu’autrefois Athènes avait sous son obéissance et Pydna, et Potidée, et Méthone, et le cercle entier de cette contrée ; que la plupart des peuples maintenant soumis à Philippe étaient libres, autonomes, et préféraient notre alliance à la sienne. Si donc alors Philippe se fût arrêté à ce raisonnement : « Seul, sans alliés, je ne puis attaquer les Athéniens, dont les nombreuses forteresses dominent mes frontières » ; non, ce qu’il a maintenant exécuté, il ne l’eût jamais entrepris ; non, il ne se fût pas élevé si haut. Mais il savait bien, lui, que toutes ces places sont des récompenses guerrières exposées au milieu de l’arène ; que naturellement les absents sont dépossédés par les présents, les indolents par les hommes hardis et infatigables.

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« Le plus grand fléau que Zeus ait créé, les femmes » : une page de misogynie

Âmes sensibles, s’abstenir : le poète Sémonide d’Amorgos (env. 7ème s. av. J.-C.) ne porte pas les femmes dans son cœur, le poème fameux surnommé « iambes des femmes » vous le prouve*. Avides, querelleuses, paresseuses, lubriques… Elles ne sont exemptes d’aucune tare, et sont un véritable fléau pour l’homme. Sémonide n’invente pas cette conception pour le moins misogyne de la gent féminine : elle est ancrée dans la mentalité grecque, et on la retrouve par exemple chez Hésiode, qui raconte la création de Pandora, « funeste présent » forgé par Zeus pour punir les hommes d’avoir profité du feu volé par le fils de Japet, Prométhée. Sémonide se fait ici moraliste, et incite femmes et demoiselles à la vertu, suivant le modèle de l’abeille industrieuse. Un délicieux anachronisme à l’époque de #Metoo !

« A l’origine ce fut sans la femme que le dieu conçut l’intelligence. Parmi les femmes, celle-ci, née d’une truie au poil hérissé, n’a aucun ordre dans sa maison ; chez elle tout roule pêle-mêle dans la poussière et dans l’ordure : elle ne se lave point, porte des vêtements malpropres et s’engraisse, assise sur son fumier.

Cette autre femme, le dieu l’a formée d’un renard malin; elle sait tout ; elle n’ignore rien de ce qui est bien, rien de ce qui est mal ; elle est tantôt méchante, tantôt bonne, et sa colère l’entraîne de divers côtés.

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De l’art d’être un parasite

Qui de plus mal vu que le parasite, que le pique-assiette, qui profite de la table d’autrui sans le rémunérer autrement qu’en bouffonneries et flatteries ? N’est-il qu’un rebut de la société, qui doit être absolument rejeté par les honnêtes gens ? Non, répond Lucien, bien au contraire : le parasite, plus que le héros ou le philosophe, mène une vie agréable, ne commet pas de méfait, ne verse dans aucune passion, ne se commet pas en politique, n’a peur et ne manque de rien, jouit de la vie… le plus souvent à table. Bref, sans crainte ni reproche, de sa naissance à sa mort, le parasite est une incarnation de la vie bonne. On suspectera à juste titre une ironie mordante dans cet écrit satirique de Lucien, qui, pastichant Platon, Hésiode et tant d’autres, fait du parasite, figure bien connue de la société et de la littérature grecques, un repoussoir pour mieux brocarder son prochain. Alors, en ces temps de fêtes et de tablées abondantes, ne rejetons pas le parasite, qui a peut-être quelque chose à nous apprendre…

« LE PARASITE. Le parasite ne se rencontre jamais sur l’agora ni aux tribunaux ; tous ces endroits-là, j’imagine, conviennent plutôt aux sycophantes (1) : la sagesse et la modération y sont inconnues. Quant aux palestres (2), aux gymnases et aux festins, il les fréquente et en fait l’ornement. Or, voyez dans une palestre un philosophe ou un orateur dépouillé de ses vêtements ; mérite-t-il d’être comparé à un parasite pour la beauté du corps ? Est-il un d’eux qui, paraissant dans un gymnase, ne soit pas la honte du lieu ? Jamais philosophe, dans une garenne, n’osera tenir tête à une bête sauvage qui vient à sa rencontre; le parasite les attend toutes de pied ferme, il les reçoit sans crainte : il est accoutumé à les braver dans les festins.

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L’éducation, « de l’enfance à la valeur humaine »

δεῖ δὴ τὴν παιδείαν μηδαμοῦ ἀτιμάζειν…*

Sur le chemin de Cnossos qui mène au temple de Jupiter. Trois interlocuteurs débattent de la meilleure constitution possible pour la Cité, et se trouvent nécessairement conduits à l’examen de la question de la paideia : l’éducation. Dans le dernier de ses dialogues, Les Lois, Platon, peut-être derrière le personnage de l’étranger d’Athènes, envisage la question éducative comme le fondement de la cité vertueuse ; à ce titre, elle est d’ailleurs présente dès le livre I. A Sparte, on n’éduque que le corps des futurs guerriers ; l’étranger d’Athènes va s’efforcer de démontrer que la véritable éducation est bien autre chose, et qu’elle doit mener l’homme vers sa plus haute valeur….

« [L’étranger d’Athènes] Je vais dire quelle nature il faut reconnaître à l’éducation ; examinez si mon propos vous agréé (…). Je prétends que quel que soit le domaine où l’homme doive un jour exceller, il faut qu’il s’y exerce dès sa prime enfance, qu’il trouve amusement et intérêt à tout ce qui s’y rapporte.

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Aphrodite « compagnon de combat »

σὺ δ’ αὔτα
σύμμαχος ἔσσο…*

« Merveille du lyrisme grec », dont nous ne possédons plus que quelques fragments d’une oeuvre originellement de 9 volumes, Saphô de Lesbos incarne à elle seule la figure de la poétesse inspirée. Son ode à Aphrodite, en strophes dites sapphiques, seule oeuvre qui nous soit parvenue complète, est une invocation à la déesse de l’amour, non sur le ton de l’élégie, mais sur un ton guerrier : l’aimée aimera en retour, « qu’elle le veuille ou non » ! Aphrodite est le « compagnon d’armes » (traduction exacte du grec summachos) de Saphô dans ce qui s’apparente à une lutte pour l’amour…

A Aphrodite
 
 Aphrodite, fille de Dieu,
 Ô tisseuse immortelle au trône étincelant,
 Ne laisse pas mon cœur, écoutes-en mon vœu,
 Ô Reine, s'affliger sur les dégoûts pesants.  
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Le cas de Pythion de Thasos

Ἄῤῥωστος τρίτος…*

Les traités hippocratiques dits des Épidémies sont riches de tableaux cliniques de malades. Succèdent ainsi à des descriptions du climat et du milieu, appelées « constitutions », et à des considérations théoriques sur la méthode médicale, des « fiches de malades », longtemps considérées comme un modèle de médecine clinique grâce au sens de l’observation objective dont témoignent les auteurs. Dans Épidémies III, traité le plus ancien où apparaissent ces fiches de malades, le médecin-rédacteur exerce en Grèce du Nord, dans des cités de la côte thrace ou de Thessalie. Arrêtons-nous à Thasos, où notre praticien fait une halte, pour y lire son compte-rendu jour par jour de la maladie de Pythion, pris de frissons et de fièvre. Ce compte-rendu est précédé de brèves instructions théoriques qui résument certains principes hippocratiques…

« Je regarde comme une partie importante de l’art de la médecine l’habileté à porter un juste jugement sur ce qui est écrit. Celui qui en a la connaissance, et qui sait en user, ne commettra pas, à mon sens, de graves erreurs dans la pratique.

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Promenade à Athènes

Περιήγησις τὴς Ἑλλάδος

Envie de faire un tour dans l’Athènes du 2ème siècle av. J.-C., à défaut de pouvoir sauter dans un avion ? Suivez Pausanias, voyageur-géographe, qui dans sa Périègèse ou Description de la Grèce parcourt la Grèce de l’Attique à la Locride, et découvrez l’Athènes antique comme si vous y étiez. En prime, la description d’œuvres d’art aujourd’hui disparues (tableaux, statues…), des rappels historiques, le récit de mythes et de légendes, la description d’us et coutumes… Bref, le Guide bleu de l’époque. Brèves antiques vous a sélectionné quelques extraits, sur le chemin qui mène du quartier dit Céramique à l’Érechthéion. Bonne promenade !

« Le quartier appelé le Céramique tient son nom du héros Kéramos, qu’on dit aussi fils de Dionysos et d’Ariane. Le portique royal est le premier à droite ; c’est là que siège celui des archontes annuels qui prend le titre de roi. Il y a sur le faîte de ce portique quelques figures en terre cuite, Thésée précipitant Sciron dans la mer, Héméra portant Céphale qu’elle enleva, dit-on, éprise de sa beauté. Elle eut de lui un fils nommé Phaéton qu’elle fit gardien de son temple, ainsi que le racontent plusieurs poètes, entre autres Hésiode dans ses vers sur les femmes célèbres [le Catalogue des femmes ou les Éhées]. (…)

Dans le portique qui est derrière sont peints les douze grands dieux, et sur le mur opposé, Thésée, la Démocratie et le Peuple.

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Léonidas aux Thermopyles

Λεωνίδης τε ἐν τούτῳ τῷ πόνῳ πίπτει ἀνὴρ γενόμενος ἄριστος…*

Septembre : il est temps de commémorer avec Hérodote la fameuse bataille des Thermopyles, qui se déroula en août ou septembre de l’année 480 av. J.-C. et opposa une alliance de cité grecques contre les Perses de Xerxès Ier. Xerxès, qui a juré de se venger des Grecs depuis la prise et l’incendie de Sarde en 498, campe alors dans la Trachinie, en Mélide ; en face, les Grecs, installés dans le défilé appelé Thermopyles. Parmi les Grecs qui y attendent le roi des Perses, on compte « trois cents Spartiates pesamment armés », passés à la postérité sous le nom de « Trois Cents ». Dans ce défilé, choisi par Thémistocle pour bloquer l’armée perse très supérieure en nombre, ces trois cents hommes de la garde royale spartiate vont affronter l’ennemi, aux côtés des seuls Thespiens et Thébains, formant une arrière-garde héroïque encouragée par un Léonidas préparé au sacrifice ultime pour sa patrie…

« Xerxès fit des libations au lever du soleil, et, après avoir attendu quelque temps, il se mit en marche vers l’heure où la place est ordinairement pleine de monde, comme le lui avait recommandé Éphialtes ; car en descendant la montagne le chemin est beaucoup plus court que lorsqu’il la faut monter et en faire le tour. Les Barbares s’approchèrent avec Xerxès. Léonidas et les Grecs, marchant comme à une mort certaine, s’avancèrent beaucoup plus loin qu’ils n’avaient fait dans le commencement, et jusqu’à l’endroit le plus large du défilé ; car jusqu’alors le mur leur avait tenu lieu de défense.

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