« Métier de honte et de misère, la poésie ! »

Vivre de sa plume n’est pas donné à tous. Le poète romain Martial, originaire de la petite ville de Bilbilis en Tarraconaise, ne contredirait pas cette triste banalité, lui qui, dans la préface de ses Épigrammes, dresse son autobiographie sous le signe de la pauvreté, de la faim, et de l’obligation de se faire le flatteur, voire le parasite des riches et des puissants pour survivre, alors même que tout Rome le connaît et apprécie ses bons mots – à l’exception de ceux qu’ils visent… Martial justifie ainsi – pour faire passer la pilule parfois amère de ses vers?…. – la nouvelle tendance de sa poésie à brocarder avec cynisme et dérision « la belle société romaine », dont il fait la « chronique scandaleuse » avec un mordant toujours aussi délicieux malgré le passage des siècles. Moralité: mécènes, soutenez les poètes !

« Triste métier que la poésie ! flatter ceux qu’on méprise, insulter ceux qu’on redoute, haïr tout haut ou tout bas ; et tout cela pour mourir de faim ! Parmi les neuf chastes Sœurs (1), pas une ne donne la richesse ; Phébus est un pauvre glorieux ; Bacchus n’a que du lierre à vous offrir ; Minerve, un peu de sagesse ; l’Hélicon, ses froides eaux, ses pâles fleurs, les lyres de ses déesses et des applaudissements stériles ; le Permesse (2), une ombre vaine comme la gloire.

Ô malheur ! ce poète venu de si loin, tout rempli d’amour et d’enthousiasme, jeune, passionné, l’enfant de Pindare, l’élève d’Horace et d’Ovide, l’écho sonore de l’école athénienne, Martial de Bilbilis, la misère le reçoit aux portes de Rome, la misère est son seul esclave !

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« La ville entière fut remplie de cadavres » : massacres à Rome

Τοιαῦτα μὲν περὶ τὰς σφαγὰς ἐγίγνετο…*

Nous sommes en 43 avant J.-C., un an après l’assassinat de César. Antoine, Lépide et Octave, futur Auguste, s’accordent sur un partage du pouvoir surnommé second Triumvirat. Cet accord permet aux triumvirs de faire placarder dans Rome la liste de leurs ennemis respectifs à abattre : c’est la proscription. Sylla devenu tyran avait déjà ouvert la sinistre voie en -82 des confiscations de biens et des meurtres de citoyens romains. Une nouvelle fois, les meurtres arbitraires exécutés sans jugement reprennent au cœur de Rome, ciblant principalement les membres du Sénat favorables à la restauration de la République. Dotés de pouvoirs exceptionnels par la lex Titia, les triumvirs sont les commanditaires de violences que l’historien romain mais de langue grecque Dion Cassius décrit avec une horreur non dissimulée : toute piété, tout respect humain, toute mesure sont abandonnés, l’amitié est reniée, la pitié, foulée au pied. Un tableau remarquable des conséquences sanglantes et absurdes de la guerre civile.


« L’accord ainsi conclu et juré, ils se hâtèrent de marcher sur Rome, en apparence pour y commander avec une égale autorité, mais chacun avec la pensée de posséder seul le pouvoir, bien que des prodiges, auparavant très significatifs et alors encore très clairs, les eussent à l’avance instruits de ce qui devait arriver (…).

On était encore, pour ainsi dire, dans cette situation, lorsque les meurtres dont Sylla avait donné l’exemple par ses proscriptions se renouvelèrent, et la ville entière fut remplie de cadavres.

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Vivre à Rome, un enfer selon Juvénal

Pompéi
Nam quae meritoria somnum admittunt? Magnis opibus dormitur in urbe…*

La qualité des constructions y est déplorable, le prix des loyers, exorbitant, avoir son bout de jardin est un rêve inaccessible, le bruit y rend insomniaque et finalement fou, la circulation et la foule font de toute tentative de sortie une tentative de suicide, on y reçoit sur la tête tout et surtout n’importe quoi que jettent négligemment des habitants sans aucun civisme, et l’on s’y fait sauvagement agresser la nuit. Bienvenue dans la Rome de Juvénal, qui dans sa troisième Satire dresse un tel tableau de la vie à la romaine (pour les plus pauvres s’entend) que seul le souvenir de l’âge d’or de la Ville éternelle l’en peut consoler.

Jamais à Volsinie, à Tibur, à Préneste,

Le paisible habitant, en son réduit modeste,

A-t-il craint de se voir sous son toit écrasé ?

À Rome chaque jour on s’y trouve exposé.

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