« La ville entière fut remplie de cadavres » : massacres à Rome

Τοιαῦτα μὲν περὶ τὰς σφαγὰς ἐγίγνετο…*

Nous sommes en 43 avant J.-C., un an après l’assassinat de César. Antoine, Lépide et Octave, futur Auguste, s’accordent sur un partage du pouvoir surnommé second Triumvirat. Cet accord permet aux triumvirs de faire placarder dans Rome la liste de leurs ennemis respectifs à abattre : c’est la proscription. Sylla devenu tyran avait déjà ouvert la sinistre voie en -82 des confiscations de biens et des meurtres de citoyens romains. Une nouvelle fois, les meurtres arbitraires exécutés sans jugement reprennent au cœur de Rome, ciblant principalement les membres du Sénat favorables à la restauration de la République. Dotés de pouvoirs exceptionnels par la lex Titia, les triumvirs sont les commanditaires de violences que l’historien romain mais de langue grecque Dion Cassius décrit avec une horreur non dissimulée : toute piété, tout respect humain, toute mesure sont abandonnés, l’amitié est reniée, la pitié, foulée au pied. Un tableau remarquable des conséquences sanglantes et absurdes de la guerre civile.


« L’accord ainsi conclu et juré, ils se hâtèrent de marcher sur Rome, en apparence pour y commander avec une égale autorité, mais chacun avec la pensée de posséder seul le pouvoir, bien que des prodiges, auparavant très significatifs et alors encore très clairs, les eussent à l’avance instruits de ce qui devait arriver (…).

On était encore, pour ainsi dire, dans cette situation, lorsque les meurtres dont Sylla avait donné l’exemple par ses proscriptions se renouvelèrent, et la ville entière fut remplie de cadavres.

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Léonidas aux Thermopyles

Λεωνίδης τε ἐν τούτῳ τῷ πόνῳ πίπτει ἀνὴρ γενόμενος ἄριστος…*

Septembre : il est temps de commémorer avec Hérodote la fameuse bataille des Thermopyles, qui se déroula en août ou septembre de l’année 480 av. J.-C. et opposa une alliance de cité grecques contre les Perses de Xerxès Ier. Xerxès, qui a juré de se venger des Grecs depuis la prise et l’incendie de Sarde en 498, campe alors dans la Trachinie, en Mélide ; en face, les Grecs, installés dans le défilé appelé Thermopyles. Parmi les Grecs qui y attendent le roi des Perses, on compte « trois cents Spartiates pesamment armés », passés à la postérité sous le nom de « Trois Cents ». Dans ce défilé, choisi par Thémistocle pour bloquer l’armée perse très supérieure en nombre, ces trois cents hommes de la garde royale spartiate vont affronter l’ennemi, aux côtés des seuls Thespiens et Thébains, formant une arrière-garde héroïque encouragée par un Léonidas préparé au sacrifice ultime pour sa patrie…

« Xerxès fit des libations au lever du soleil, et, après avoir attendu quelque temps, il se mit en marche vers l’heure où la place est ordinairement pleine de monde, comme le lui avait recommandé Éphialtes ; car en descendant la montagne le chemin est beaucoup plus court que lorsqu’il la faut monter et en faire le tour. Les Barbares s’approchèrent avec Xerxès. Léonidas et les Grecs, marchant comme à une mort certaine, s’avancèrent beaucoup plus loin qu’ils n’avaient fait dans le commencement, et jusqu’à l’endroit le plus large du défilé ; car jusqu’alors le mur leur avait tenu lieu de défense.

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L’astrologue de Tibère

Ille, positus siderum ac spatia dimensus, haerere primo…*

Il est aisé d’abuser les puissants avides de prédictions flatteuses et rassurantes. C’est ce que semble déduire Tacite de la soit disant prédiction de l’astrologue Thrasylle à Tibère. Il est vrai que signaler d’un air inspiré un danger imminent au bord d’un précipice relève davantage du charlatanisme que d’une divine intuition, et ne peut impressionner qu’un crédule… qui se trouve être toutefois à la tête de l’Empire ! Le rationnel Tacite en vient à douter de l’art de la divination, et à s’interroger sur les destinées humaines…

« Je n’omettrai pas une prédiction de Tibère au consul Servius Galba. Il le fit venir, et, après un entretien dont le but était de le sonder, il lui dit en grec : « Et toi aussi, Galba, tu goûteras quelque jour à l’empire  » ; allusion à sa tardive et courte puissance, révélée à Tibère par sa science dans l’art des Chaldéens. Rhodes lui avait offert, pour en étudier les secrets, du loisir et un maître nommé Thrasylle, dont il éprouva l’habileté de la façon que je vais dire.

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État de nature

Τῇ δὲ πέμπτῃ πρὸς τὴν ὑπώρειαν ἐπείγονται πανδημεὶ ποτοῦ χάριν…*

Historien méthodique, précis et attaché à ses sources, Diodore de Sicile (1er siècle av. J.-C.) fut un voyageur infatigable, qui recueillit nombre de faits et de témoignages non seulement par ses lectures, mais aussi en se rendant sur le terrain. Dans le livre III de sa Bibliothèque historique, il s’agit de l’Egypte : « Enfin, nous-même, pendant notre voyage en Egypte, nous avons eu des relations avec beaucoup de prêtres, et nous nous sommes entretenus avec un grand nombre d’envoyés éthiopiens. Après avoir soigneusement recueilli ce que nous avons appris de cette manière, et compulsé les récits des historiens, nous n’avons admis dans notre narration que les faits généralement avérés ». Cette quête du véridique ne l’empêche pas d’être amateur, comme on l’était à l’époque hellénistique, de l’étrange ou paradoxon. Les chapitres 15 à 18 nous dépeignent ainsi les mœurs surprenants des Ichthyophages, peuple éthiopien mangeur de poisson (« ichthus »), en une page d’ethnologie des plus dépaysantes….

« Nous avons ainsi fait suffisamment connaître ce qui concerne les Éthiopiens qui habitent à l’occident ; nous allons parler maintenant de ceux qui demeurent au midi et sur les bords de la mer Rouge (…). Nous dirons d’abord un mot des Ichthyophages qui peuplent tout le littoral, depuis la Carmanie et la Gédrosie jusqu’à l’extrémité la plus reculée du golfe Arabique.

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« Vaincus par le mal » : une épidémie à Athènes

οὐ μέντοι τοσοῦτός γε λοιμὸς οὐδὲ φθορὰ οὕτως ἀνθρώπων οὐδαμοῦ ἐμνημονεύετο γενέσθαι…*

Loimos (« peste »), nosos (« maladie »), kakos (« mal ») : Thucydide, qui en fut lui-même atteint, a recours à tout le lexique médical à sa disposition pour nommer l’épidémie qui frappa durement Athènes à l’été 430. Pour autant, il ne s’agit pas de la peste au sens moderne du terme : pestis ou pestilentia en latin comme loimos en grec désignent toute forme d’infection de nature épidémique. D’une grande précision clinique – rappelons que le siècle de Périclès est aussi celui de la médecine hippocratique-, cette description nous plonge dans le tableau vivant d’une épidémie contre laquelle les hommes n’ont aucun recours…

XLVII. (…) Ils [les Péloponnésiens et leurs alliés] n’étaient que depuis quelques jours en Attique, quand la maladie se déclara à Athènes ; elle s’était abattue, dit-on, auparavant en plusieurs endroits, notamment à Lemnos ; mais nulle part on ne se rappelait pareil fléau et des victimes si nombreuses. Les médecins étaient impuissants, car ils ignoraient au début la nature de la maladie ; de plus, en contact plus étroit avec les malades, ils étaient plus particulièrement atteints. Toute science humaine était inefficace ; en vain on multipliait les supplications dans les temples ; en vain on avait recours aux oracles ou à de semblables pratiques ; tout était inutile ; finalement on y renonça, vaincu par le mal.

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