En terre de magie : le récit de Télyphron

Thessaliae, ubi sagae mulieres ora mortuorum passim demorsicant…*

Les Métamorphoses d’Apulée narrent l’histoire de Lucius, qui se déclare dès les premières pages du roman avide d’histoires sensationnelles. Comme il se doit, le parcours de Lucius en Thessalie, terre de haute magie, abonde en scènes nocturnes et en fables milésiennes riches de contes de sorcières et de fantômes, souvent obscènes. Reçu un soir au banquet de Byrrhène (livre III) , il entend en particulier le récit de Télyphron, malheureuse victime de sorcières dépeceuses de cadavres. Entre onirisme et burlesque, voilà un récit de table horrifique qui maltraite sans vergogne son (anti) héros…

« Ramenant alors la housse du lit en un monceau, comme point d’appui à son coude, (Télyphron) projette en avant le bras droit, et dispose ses doigts à la manière des orateurs, c’est-à-dire en fermant les deux derniers, et tenant étendus les autres, avec le pouce en saillie. Après ce préliminaire, notre homme commence ainsi : « J’étais encore en tutelle à Milet, quand l’idée me vint d’aller aux jeux olympiques. J’étais curieux au dernier point de visiter cette province célèbre. Après avoir parcouru toute la Thessalie, pour mon malheur j’arrive à Larissa.

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Les roches errantes

Tempête,_côtes_de_Belle-Île_-_Claude
 Ἀλλ’ ὅτε πέτρας Πληγάδας ἐξέπλωμεν, ὀίομαι οὐκ ἔτ’ ὀπίσσω ἔσσεσθαι τοιόνδ’ ἕτερον φόβον… *

Les Symplégades, en grec αἱ Συμπληγάδες (πέτραι), « (rochers) qui s’entrechoquent », désignaient deux falaises à l’entrée du Bosphore. Ces « îles Cyanées » (d’un bleu sombre) empêchaient la navigation… jusqu’à l’arrivée de Jason, en quête de la Toison d’or sur son navire Argo. Ces « roches errantes » selon les mots d’Homère sont décrites en détail par Apollonios de Rhodes dans ses Argonautiques. Apollonios, éminent érudit disciple de Callimaque et successeur de Zénodote au rang de directeur de la Bibliothèque d’Alexandrie au IIIe siècle, nous dépeint une tempête des plus étranges, où les rochers comme le navire semblent doués d’une vie propre, et où c’est une colombe qui permet aux héros de se sortir d’affaire… et de domestiquer définitivement ces rochers sauvages. 

« Les héros étaient parvenus dans le passage tortueux, à la partie étroite, resserrée des deux côtés entre les pointes des écueils ; un courant tourbillonnant prenait par-dessous et soulevait le navire en marche ; c’est avec une grande peur qu’ils naviguaient plus avant.

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Rencontre avec les sélénites

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Ἃ δὲ ἐν τῷ μεταξὺ διατρίβων ἐν τῇ σελήνῃ κατενόησα καινὰ καὶ παράδοξα, ταῦτα βούλομαι εἰπεῖν… *

Nous vous l’avions promis : aujourd’hui, nous partons à la rencontre des sélénites avec Lucien de Samosate. Rien de tel qu’un voyage sur la Lune lorsque l’on a trop voyagé autour de sa chambre… Grenouilles volantes, accouchement par le mollet, hommes-arbres ou dendrites, vêtements en verre moelleux, pieds mono-doigts : le réalisme ethnographique de Lucien mêlé à son imagination sans frein accouche d’un véritable ovni littéraire….

« Il faut cependant que je vous raconte les choses nouvelles et extraordinaires que j’ai observées, durant mon séjour dans la Lune. Et d’abord ce ne sont point des femmes, mais des mâles qui y perpétuent l’espèce : les mariages n’ont donc lieu qu’entre mâles, et le nom de femme y est totalement inconnu. On y est épousé jusqu’à vingt-cinq ans, et à cet âge on épouse à son tour. Ce n’est point dans le ventre qu’ils portent leurs enfants , mais dans le mollet.

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Les « femmes-vignes » de Lucien de Samosate

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       εὓρομεν ἀμπέλωνν χρῆμα τεράστιον…*

Roman, parodie, première oeuvre de science-fiction?… L’Histoire véritable de Lucien de Samosate, riche en créatures fantastiques, est unique en son genre, et s’ouvre sur l’une des adresses au lecteur les plus mémorables de la littérature grecque antique :

« Moi-même, cependant, entraîné par le désir de laisser un nom à la postérité, et ne voulant pas être le seul qui n’usât pas de la liberté de feindre, j’ai résolu, n’ayant rien de vrai à raconter, vu qu’il ne m’est arrivé aucune aventure digne d’intérêt, de me rabattre sur un mensonge beaucoup plus raisonnable que ceux des autres. Car n’y aurait-il dans mon livre, pour toute vérité, que l’aveu de mon mensonge, il me semble que j’échapperais au reproche adressé par moi aux autres narrateurs, en convenant que je ne dis pas un seul mot de vrai. Je vais donc raconter des faits que je n’ai pas vus, des aventures qui ne me sont pas arrivées et que je ne tiens de personne ; j’y ajoute des choses qui n’existent nullement, et qui ne peuvent pas être : il faut donc que les lecteurs n’en croient absolument rien ».

La plus belle définition de la fiction?…

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