Épicure ou « la santé de l’âme »

Ὁ θάνατος οὐδὲν πρὸς ἡμᾶς…

La riche philosophie d’Épicure ne peut se résumer à ses maximes, rapportées par Diogène Laërce. Elles sont cependant une introduction à ce qui nous reste de son œuvre, qui nous incite à pratiquer la philosophie comme un remède contre ce qui accable l’humanité, en particulier la peur de la mort. « Le charme de cette doctrine (qui) égalait la douceur des sirènes » en appelle à la fois à la raison, à la connaissance des lois naturelles ou physique, et à une éthique de vie fondée non pas tant sur le plaisir effréné, comme on l’a cru dès l’Antiquité, mais sur une forme d’ascèse. Épicure nous enjoint d’accepter le plaisir quand il se présente, de nous contenter de peu, de vivre entourés d’amis, d’éviter les excès et les injustices, de « cultiver notre jardin », et de ne pas craindre la mort. Et maintenant, une petite dose du pharmakon épicurien sous forme de florilège !

La mort n’est rien pour nous. Car ce qui est en dissolution est privé de sentiment, et un corps privé de sentiment n’a plus rien qui nous concerne.

Le comble du plaisir est l’absence de la douleur. Ce but une fois atteint, tout le temps que le plaisir subsiste il n’y a pour nous ni souffrance ni tristesse.

Le bonheur de la vie est inséparable de la prudence, de l’honnêteté et de la justice ; d’un autre côté, ces vertus elles-mêmes sont inséparables du bonheur. Quiconque ne possède ni la prudence, ni l’honnêteté, ni la justice, ne vit point heureux.

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« C’est n’être nulle part que d’être partout » : que l’immobilité est un bien

Distringit librorum multitudo…*

A la frustration du moment de ne pas pouvoir sortir de chez soi, Sénèque nous rétorque que c’est là où nous sommes le mieux, au milieu de lectures finement et utilement choisies, et d’amis fidèles. En somme, une consolation, mieux, une exhortation à l’immobilité et au retour à soi, pascalienne si elle n’était stoïcienne. Avec cette seconde lettre à Lucilius, revenons à l’indispensable choix du nécessaire…

« Des voyages et de la lecture.
Ce que tu m’écris et ce que j’apprends me fait bien espérer de toi. Tu ne cours pas çà et là, et ne te jettes pas dans l’agitation des déplacements. Cette mobilité est d’un esprit malade. Le premier signe, selon moi, d’une âme bien réglée, est de se fixer, de séjourner avec soi. Or prends-y garde : la lecture d’une foule d’auteurs et d’ouvrages de tout genre pourrait tenir du caprice et de l’inconstance. Fais un choix d’écrivains pour t’y arrêter et te nourrir de leur génie, si tu veux y puiser des souvenirs qui te soient fidèles.

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De l’art d’être un parasite

Qui de plus mal vu que le parasite, que le pique-assiette, qui profite de la table d’autrui sans le rémunérer autrement qu’en bouffonneries et flatteries ? N’est-il qu’un rebut de la société, qui doit être absolument rejeté par les honnêtes gens ? Non, répond Lucien, bien au contraire : le parasite, plus que le héros ou le philosophe, mène une vie agréable, ne commet pas de méfait, ne verse dans aucune passion, ne se commet pas en politique, n’a peur et ne manque de rien, jouit de la vie… le plus souvent à table. Bref, sans crainte ni reproche, de sa naissance à sa mort, le parasite est une incarnation de la vie bonne. On suspectera à juste titre une ironie mordante dans cet écrit satirique de Lucien, qui, pastichant Platon, Hésiode et tant d’autres, fait du parasite, figure bien connue de la société et de la littérature grecques, un repoussoir pour mieux brocarder son prochain. Alors, en ces temps de fêtes et de tablées abondantes, ne rejetons pas le parasite, qui a peut-être quelque chose à nous apprendre…

« LE PARASITE. Le parasite ne se rencontre jamais sur l’agora ni aux tribunaux ; tous ces endroits-là, j’imagine, conviennent plutôt aux sycophantes (1) : la sagesse et la modération y sont inconnues. Quant aux palestres (2), aux gymnases et aux festins, il les fréquente et en fait l’ornement. Or, voyez dans une palestre un philosophe ou un orateur dépouillé de ses vêtements ; mérite-t-il d’être comparé à un parasite pour la beauté du corps ? Est-il un d’eux qui, paraissant dans un gymnase, ne soit pas la honte du lieu ? Jamais philosophe, dans une garenne, n’osera tenir tête à une bête sauvage qui vient à sa rencontre; le parasite les attend toutes de pied ferme, il les reçoit sans crainte : il est accoutumé à les braver dans les festins.

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L’éducation, « de l’enfance à la valeur humaine »

δεῖ δὴ τὴν παιδείαν μηδαμοῦ ἀτιμάζειν…*

Sur le chemin de Cnossos qui mène au temple de Jupiter. Trois interlocuteurs débattent de la meilleure constitution possible pour la Cité, et se trouvent nécessairement conduits à l’examen de la question de la paideia : l’éducation. Dans le dernier de ses dialogues, Les Lois, Platon, peut-être derrière le personnage de l’étranger d’Athènes, envisage la question éducative comme le fondement de la cité vertueuse ; à ce titre, elle est d’ailleurs présente dès le livre I. A Sparte, on n’éduque que le corps des futurs guerriers ; l’étranger d’Athènes va s’efforcer de démontrer que la véritable éducation est bien autre chose, et qu’elle doit mener l’homme vers sa plus haute valeur….

« [L’étranger d’Athènes] Je vais dire quelle nature il faut reconnaître à l’éducation ; examinez si mon propos vous agréé (…). Je prétends que quel que soit le domaine où l’homme doive un jour exceller, il faut qu’il s’y exerce dès sa prime enfance, qu’il trouve amusement et intérêt à tout ce qui s’y rapporte.

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« Ils sont esclaves, mais ils sont hommes »

Servi sunt ? immo homines…*

Vettius Agorius Praetextatus, éminent aristocrate, tient banquet pendant les vacances des Saturnales ; on y parle entre lettrés d’histoire ou de mythologie, quand la question de l’esclavage est soulevée par Evangelus, outré que son hôte ait pu mentionner la licence accordée aux esclaves durant les fêtes romaines des Saturnales… De ce texte, qui jette les derniers éclats du paganisme littéraire dans la Rome du début du Vème siècle, émerge un magnifique plaidoyer pour les esclaves, démontrant avec brio et rigueur « qu’il ne faut point mépriser la condition des esclaves, et parce que les dieux prennent soin d’eux, et parce qu’il est certain que plusieurs d’entre eux ont été fidèles, prévoyants, courageux, et même philosophes ».

« Je ne puis pas supporter, dit alors Evangélus, que notre ami Praetextatus, pour faire briller son esprit et démontrer sa faconde, ait prétendu tout à l’heure honorer quelque dieu en faisant manger les esclaves avec les maîtres ; comme si les dieux s’inquiétaient des esclaves, ou comme si aucune personne de sens voulût souffrir chez elle la honte d’une aussi ignoble société. (…) A ces paroles, tous furent saisis d’indignation. Mais Praetextatus souriant répliqua : (…) pour parler d’abord des esclaves, est-ce plaisanterie, ou bien penses-tu sérieusement qu’il y ait une espèce d’hommes que les dieux immortels ne jugent pas dignes de leur providence et de leurs soins? ou bien, par hasard, voudrais-tu ne pas souffrir les esclaves au nombre des hommes ?

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