Méliès,_viaggio_nella_luna_(1902)_06
Ἃ δὲ ἐν τῷ μεταξὺ διατρίβων ἐν τῇ σελήνῃ κατενόησα καινὰ καὶ παράδοξα, ταῦτα βούλομαι εἰπεῖν… *

Nous vous l’avions promis : aujourd’hui, nous partons à la rencontre des sélénites avec Lucien de Samosate. Rien de tel qu’un voyage sur la Lune lorsque l’on a trop voyagé autour de sa chambre… Grenouilles volantes, accouchement par le mollet, hommes-arbres ou dendrites, vêtements en verre moelleux, pieds mono-doigts : le réalisme ethnographique de Lucien mêlé à son imagination sans frein accouche d’un véritable ovni littéraire….

« Il faut cependant que je vous raconte les choses nouvelles et extraordinaires que j’ai observées, durant mon séjour dans la Lune. Et d’abord ce ne sont point des femmes, mais des mâles qui y perpétuent l’espèce : les mariages n’ont donc lieu qu’entre mâles, et le nom de femme y est totalement inconnu. On y est épousé jusqu’à vingt-cinq ans, et à cet âge on épouse à son tour. Ce n’est point dans le ventre qu’ils portent leurs enfants , mais dans le mollet.

Quand l’embryon a été conçu, la jambe grossit ; puis, plus tard, au temps voulu, ils y font une incision et en retirent un enfant mort, qu’ils rendent à la vie en l’exposant au grand air, la bouche ouverte. C’est sans doute de là qu’est venu chez les Grecs le nom de gastrocnémie, puisque, au lieu du ventre, c’est la jambe qui devient grosse. Mais voici quelque chose de plus fort. Il y a dans ce pays une espèce d’hommes appelés dendrites, qui naissent de la manière suivante : on coupe le testicule droit d’un homme et on le met en terre ; il en naît un arbre grand, charnu, comme un phallus ; il a des branches, des feuilles. Ses fruits sont des glands d’une coudée de longueur. Quand ils sont mûrs, on récolte ces fruits, et on en écosse des hommes. Leurs parties sont artificielles : quelques-uns en ont d’ivoire, les pauvres en ont de bois, et ils remplissent avec cela toutes les fonctions du mariage.

Quand un homme est parvenu à une extrême vieillesse, il ne meurt pas, mais il s’évapore en fumée et se dissout dans les airs. Ils se nourrissent tous de la même manière. Ils allument du feu et font rôtir sur le charbons des grenouilles volantes, qui sont chez eux en grande quantité ; puis ils s’asseyent autour de ce feu, comme d’une table, et se régalent en avalant la fumée qui s’exhale du rôti. Tel est leur plat solide. Leur boisson est de l’air pressé dans un vase, où il se résout en un liquide semblable à de la rosée. Ils ne rendent ni urine, ni excréments, n’ayant pas, comme nous, les conduits nécessaires. Ils ne peuvent pas non plus avoir par cette voie de commerce avec des mignons, mais par les jarrets, où s’ouvre leur gastrocnémie. C’est une beauté chez eux que d’être chauve et complément dégarni de cheveux ; ils ont les chevelures en horreur. Dans les comètes, au contraire, les cheveux sont réputés beaux, au moins d’après ce que nous en dirent quelques voyageurs. Leur barbe croît un peu au-dessus du genou ; leurs pieds sont dépourvus d’ongles, et tous n’y ont qu’un seul doigt. Il leur pousse au-dessus des fesses une espèce de gros chou, en manière de queue, toujours vert, et ne se brisant jamais, lors même que l’individu tombe sur le dos.

L’habillement des riches est de verre, étoffe moelleuse, celui des pauvres est un tissu de cuivre ; le pays produit en grande quantité ce métal, qu’ils travaillent comme de la laine, après l’avoir mouillé. Quant à leurs yeux, en vérité je n’ose dire comment ils sont faits, de peur qu’on ne me prenne pour un menteur, tant la chose est incroyable. Je me hasarderai pourtant à dire que leurs yeux sont amovibles : ils les ôtent quand ils veulent et les mettent de côté, jusqu’à ce qu’ils aient envie de voir ; alors, ils les remettent en place pour s’en servir, et, si quelques-uns d’entre eux viennent à perdre leurs yeux, ils empruntent ceux des autres et en font usage, il y a même des riches qui en gardent de rechange. Leurs oreilles sont de feuilles de platane, excepté celles des hommes nés d »un gland, qui les ont de bois.

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Traduction : Œuvres complètes de Lucien de Samosate, trad. nouvelle avec une introd. et des notes, Eugène Talbot, Paris : Hachette, 1912

Image : Georges Méliès, Le Voyage dans la lune, 1902. CCO

* Traduction de la légende : « Il faut cependant que je vous raconte les choses nouvelles et extraordinaires que j’ai observées, durant mon séjour dans la Lune »…

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