Ἄῤῥωστος τρίτος…*

Les traités hippocratiques dits des Épidémies sont riches de tableaux cliniques de malades. Succèdent ainsi à des descriptions du climat et du milieu, appelées « constitutions », et à des considérations théoriques sur la méthode médicale, des « fiches de malades », longtemps considérées comme un modèle de médecine clinique grâce au sens de l’observation objective dont témoignent les auteurs. Dans Épidémies III, traité le plus ancien où apparaissent ces fiches de malades, le médecin-rédacteur exerce en Grèce du Nord, dans des cités de la côte thrace ou de Thessalie. Arrêtons-nous à Thasos, où notre praticien fait une halte, pour y lire son compte-rendu jour par jour de la maladie de Pythion, pris de frissons et de fièvre. Ce compte-rendu est précédé de brèves instructions théoriques qui résument certains principes hippocratiques…

« Je regarde comme une partie importante de l’art de la médecine l’habileté à porter un juste jugement sur ce qui est écrit. Celui qui en a la connaissance, et qui sait en user, ne commettra pas, à mon sens, de graves erreurs dans la pratique.

Il faut apprendre à reconnaître avec exactitude la constitution de chaque saison et de chaque maladie ; à distinguer quel est le bien commun, quel est le mal commun à la constitution ou à la maladie ; quelle maladie est longue et mortelle, laquelle est longue et sans danger ; quelle maladie est aiguë et mortelle, laquelle est aiguë et sans danger. Partant de là, on est en état d’observer l’ordre des jours critiques, et d’en tirer les éléments du pronostic. Quand on sait ces choses, on sait aussi à quel malade, dans quel temps et de quelle manière il faut donner de la nourriture. (…)

Troisième malade.

Dans l’île de Thasos, Pythion, qui était couché au-dessus du temple d’Hercule, après des travaux, des fatigues et un genre de vie mal réglé, fut saisi d’un grand frisson et d’une fièvre vive ; langue légèrement sèche, bilieuse ; altération ; le malade ne dormit pas ; urine noirâtre avec un énéorème (dépôt) dans le haut, il ne se forma pas de sédiment. Deuxième jour : vers le milieu de la journée, refroidissement des extrémités, surtout des mains et de la tête ; perte de la parole, perte de la voix ; respiration courte pendant longtemps; il se réchauffa ; soif ; nuit passée tranquillement ; il sua un peu de la tête. Troisième jour : la journée fut calme; mais le soir, vers le coucher du soleil, il ressentit un petit refroidissement ; nausées ; trouble ; nuit laborieuse ; il ne dormit pas ; il rendit, en petite quantité, des matières liées. Quatrième jour : tranquillité dans la matinée ; mais vers le milieu de la journée tout s’aggrava ; refroidissement ; perte de la parole, perte de la voix ; l’état empire ; le malade se réchauffe à la longue ; il rendit des urines noires, avec un énéorème ; la nuit fut tranquille ; il y eut du sommeil. Cinquième jour : le malade sembla mieux, mais il ressentait dans le ventre une pesanteur douloureuse ; altération ; nuit pénible. Sixième jour, la matinée se passa tranquillement, il est vrai ; mais, le soir, les souffrances augmentèrent ; redoublement ; dans la soirée un petit lavement lui procura une selle favorable ; la nuit il dormit. Septième jour : pendant la journée, nausées ; un peu d’agitation ; il rendit une urine huileuse ; pendant la nuit beaucoup de trouble ; délire de paroles ; point de sommeil. Huitième jour : le matin il dormit un peu ; mais bientôt après, refroidissement; perte de la voix ; respiration ténue et faible ; le soir il se réchauffa ; hallucinations ; à l’approche du jour il eut une légère amélioration ; petites selles, intempérées, bilieuses. Neuvième jour : coma ; nausées, lorsqu’il se réveillait ; soif médiocre ; vers le coucher du soleil il eut du malaise, du délire de paroles, et la nuit fut mauvaise. Dixième jour : le matin perte de la voix ; grand refroidissement, fièvre vive ; sueur abondante ; il mourut. Ce malade avait le plus souffert pendant les jours pairs. »

*********************

Texte : Épidémies III, in Oeuvres complètes d’Hippocrate. 3 : traduction nouvelle avec le texte grec en regard collationné sur les manuscrits et toutes les éditions (…), Emile Littré, Baillière, 1841. En ligne sur Medic@. Nouvelle édition aux Belles Lettres par Jacques Jouanna.

Image : Ary Scheffer, La Mort de Géricault (1824), Paris, musée du Louvre, CCO

*Légende : « Troisième malade »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s