
Pline l’Ancien, préfet de la flotte et éminent naturaliste, est en poste à Misène ; le 9 avant les kalendes de septembre de l’an 79, le Vésuve entre en éruption, et une nuée se forme, « ayant l’aspect et la forme d’un arbre et faisant surtout penser à un pin ». Tout d’abord intéressé par le phénomène naturel, Pline propose à son neveu, Pline le jeune, d’aller l’observer en bateau ; mais il reçoit entre-temps un billet d’une certaine Rectina, qui l’appelle à l’aide…
« Mon oncle change son plan et ce qu’il avait entrepris par amour de la science, il l’achève par héroïsme. Il fait sortir des quadrirèmes et s’embarque lui-même, avec l’intention de secourir, outre Rectina, beaucoup d’autres personnes (les agréments du rivage y avaient attiré bien d’autres visiteurs). Il gagne en toute hâte la région que d’autres fuient et vogue en ligne droite, le cap droit sur le point périlleux, si libre de crainte que toutes les phases du terrible fléau, tous ses aspects, à mesure qui’il les percevait du regard, étaient notés sous sa dictée ou par lui-même.
Déjà les bateaux recevaient de la cendre, à mesure qu’ils approchaient plus chaude et plus épaisse, déjà aussi de la pierre ponce et des cailloux noircis, brûlés, effrités par le feu, déjà il y avait un bas-fond et des rochers écroulés interdisaient le rivage Il hésita un moment : reviendrait-il en arrière ? Puis, à son pilote qui le lui conseillait : « La fortune, dit-il, seconde le courage ; mets la barre sur l’habitation de Pomponianus ». Ce dernier était à Stabies, de l’autre côté du golfe (car le rivage revient sur lui-même de façon à former une courbe insensible que remplit la mer). En cet endroit, alors que le péril n’était pas encore là, mais avait été vu et en se développant s’était approché, Pomponianus avait fait charger ses paquets sur des bateaux, décidé à fuir si le vent contraire tombait. Ce vent à ce moment était tout à fait favorable à mon oncle qui arrive, embrasse son ami tremblant, le console, l’encourage et voulant calmer ses craintes par le spectacle de sa tranquillité à lui, se fait descendre dans le bain ; en en sortant il se met à table et soupe avec gaîté, ou, ce qui n’est pas moins beau, en faignant la gaîté.
Pendant ce temps, le sommet du mont Vésuve brillait sur plusieurs points de larges flammes et de grandes colonnes de feu dont la rougeur et l’éclat étaient avivés par l’obscurité de la nuit. Mon oncle répétait que des foyers laissés allumés par des paysans dans leur fuite hâtive et des villas abandonnées brûlaient dans la solitude, voulant par là calmer les craintes. Alors il se livra au repos et dormit d’un sommeil qui ne peut être mis en doute, car sa respiration, rendue par sa corpulence grave et sonore, était entendue par ceux qui allaient et venaient devant sa porte.
Mais la cour par laquelle on accédait à son appartement était déjà remplie de cendres mêlées de pierres ponces qui en avaient relevé le niveau au point qu’en restant plus longtemps dans sa chambre il n’en aurait pu sortir. On le réveille, il vient rejoindre Pomponianus et les autres qui avaient passé la nuit debout. On tient conseil : restera-t-on dans un lieu couvert ou s’en ira-t-on dehors ? Des tremblements de terre fréquents et amples agitaient les maisons qui semblaient arrachées à leurs fondements et oscillaient dans un sens puis dans l’autre. A l’air libre en retour tombaient des fragments de pierres ponces, légers et poreux, il est vrai, mais qu’on redoutait. C’est à quoi on se résigna après comparaison des dangers. Chez mon oncle triompha le meilleur des deux points de vue ; chez les autres, la plus grande des deux peurs. Ils mettent des oreillers sur leur tête et les attachent avec des linges : ce fut leur protection contre ce qui tombait du ciel.
Déjà le jour était levé partout, mais autour d’eux une nuit plus épaisse que tout autre nuit et qu’atténuaient pourtant une foule de feux et des lumières de toute sorte. On résolut d’aller sur le rivage et de voir de près s’il était maintenant possible de prendre la mer ; mais elle était encore grosse et redoutable. Là, on étendit un linge sur lequel mon oncle se coucha ; il demanda à plusieurs reprises de l’eau fraîche et en but ; ensuite les flammes et l’odeur de soufre qui les annonçaient font fuir ses compagnons et le réveillent ; il s’appuie sur deux esclaves pour se lever et retombe immédiatement. Je suppose que l’air épaissi par la cendre avait obstrué sa respiration et fermé son larynx qu’il avait naturellement délicat, étroit et souvent oppressé. Quand le jour revint (c’était le troisième depuis celui qu’il avait vu pour la dernière fois), son corps fut retrouvé intact, en parfait état et couvert des vêtements qu’il avait mis pour son départ ; son aspect était celui d’un homme endormi plutôt que d’un mort ».
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Pline le Jeune, Lettres, livre VI, chap. 9 sqq. Edition et traduction de Anne-Marie Guillemin, les Belles Lettres, collection Budé, Paris, 2002
Image : L’éruption du Vésuve, Pierre-Jacques Volaire (1729-1799). CCO
*Traduction de la légende : « Déjà les bateaux recevaient de la cendre »….