HALLEY
Cometas Graeci vocant, nostri crinitas, horrentes crine sanguineo et comarum modo in vertice hispidas….*

Comètes à la crinière couleur de sang, en forme  de corne ou de tonneau, à la chevelure argentée, aux reflets de glaive, fatales et terrifiantes, météores flamboyants… Pline l’Ancien, dans ses Histoires naturelles, dresse un fascinant catalogue historico-astronomique de ces corps célestes. Les écrits d’Aristote attribuaient l’origine des comètes à des sécrétions atmosphériques qui s’enflamment occasionnellement. Plus tard, Sénèque a opposé à Aristote le fait que ces comètes ne sont pas affectées par le vent et ne peuvent donc être d’origine atmosphérique : ce sont donc des corps astronomiques. Pline ne tranche pas, mais, toujours rationnel et se gardant des superstitions, note qu’ « ils sont indépendants des causes variées, fruit d’une imagination subtile, auxquelles la plupart les attribuent »….

« XXII. Dans le ciel même, des étoiles naissent soudainement ; il y en a plusieurs espèces. Les Grecs appellent comètes, les Romains étoiles chevelues, des astres qui inspirent la terreur par une crinière couleur de sang, et qui semblent hérissés sur le sommet.

On appelle pennies ceux dont la crinière est disposée à la partie inférieure sous la forme d’une longue barbe. Les aconties sont lancées comme un javelot ; elles indiquent des événements d’un accomplissement très prochain : telle est celle dont le César Titus Imperator, dans son cinquième consulat (77 av. J.-C.), a fait le sujet d’une pièce de vers admirable. C’est la dernière de ce genre qu’on ait vue. Les comètes plus courtes et allongées en pointe ont été appelées xiphies ; et ce sont le plus pâles de toutes ; elles ont le reflet d’un glaive, et sont dépourvues de rayons. Les discoïdes, d’une forme indiquée par leur nom, ont la couleur de l’ambre, et ne projettent que peu de rayons par leurs bords. Les pithées ont la figure de tonneaux, et présentent dans leur partie concave une lueur fumeuse. Les cératies ont l’apparence d’une corne : telle fut celle qui apparut quand la Grèce coalisée livra la bataille de Salamine (480 avant J.-C.).

Les lampadies imitent les torches ardentes. Les hippées imitent la crinière d’un cheval, vivement agitée, et tournoyant sur elle-même. Il y a aussi des comètes blanches, à chevelure argentée, d’un éclat tellement radieux que l’on peut à peine y fixer les yeux ; elles offrent, sous une apparence humaine, l’image d’un dieu.

Il y en a aussi qui sont comme hérissées de poils et enveloppées d’une espèce de nuage. Il est arrivé une fois que la chevelure s’est changée en lance ; ce fut dans la 108e olympiade, l’an 398 de Rome. Le plus court espace de temps noté durant lequel elles ont été visibles est de 7 jours, le plus long de 80.

XXIII. Parmi les comètes les unes se meuvent comme les planètes, les autres demeurent immobiles. Presque toutes sont dans la région septentrionale du ciel ; elles en occupent une partie qui n’est pas fixe, et surtout la partie blanche, qui a reçu le nom de voie lactée. Aristote rapporte qu’on en voit souvent plusieurs à la fois, observation que personne autre n’a faite, à ma connaissance ; et il ajoute que ce phénomène indique des vents violents et de fortes chaleurs. Les comètes se montrent aussi dans les mois d’hiver et vers le pôle du midi, mais là sans aucun éclat.

Il y a eu une comète fatale aux peuples de l’Éthiopie et de l’Égypte, et connue sous le nom de Typhon, qui fut un roi de ces temps anciens ; d’une apparence ignée, d’une forme contournée en spirale, d’un aspect effrayant, moins une étoile qu’une espèce de nœud enflammé. Quelquefois les planètes et les autres astres se montrent garnis de cheveux. Les comètes n’apparaissent jamais à l’occident. Ce sont des astres pleins de présages funestes, et qui ne se contentent pas de légères expiations, témoin les troubles civils sous le consul Octavius (an de Rome 678, 76 avant J.-C), et derechef la guerre de Pompée et de César (49 avant J.-C.) ; témoin encore, de notre temps, l’empoisonnement qui fit succéder Néron à l’empereur Claude (an de Rome 707, 54 après J.-C.) ; témoin enfin le règne de ce prince, durant lequel l’influence en fut presque continuelle et funeste.

On pense que la diversité des effets qu’elles produisent dépend des parties vers lesquelles elles s’élancent, de l’étoile dont elles ressentent l’action, des formes qu’elles imitent, et des lieux où elles font éruption. On assure que, présentant la forme d’une flûte, elles sont un signe d’art musical ; de mœurs infâmes, paraissant dans les parties honteuses des constellations ; d’esprit et de science, quand elles sont en trine aspect (1) ou en quadrature avec quelqu’un des astres permanents ; et qu’elles versent des poisons, étant dans la tête du Dragon du nord au du midi.

Rome est le seul lieu de l’univers qui ait élevé un temple à une comète, celle que le dieu Auguste jugea de si bon augure pour lui. Elle apparut lors des débuts de sa fortune, pendant les jeux qu’il célébrait en l’honneur de Vénus Genitrix, peu de temps après la mort de son père César, et dans le collège institué pour cela par ce dernier; il exprima en ces termes la joie qu’elle lui causait : « Pendant la célébration de mes jeux, on aperçut durant sept jours une comète dans la région du ciel qui est au Septentrion. Elle commençait à paraître vers la onzième heure (cinq heures du soir) ; elle eut beaucoup d’éclat, et fut visible de toutes les parties de la terre. Suivant l’opinion générale, cet astre annonça que l’âme de César avait été reçue au nombre des divinités éternelles ; c’est à ce titre qu’une comète fut ajouté à sa statue, que peu de temps après nous consacrâmes dans le forum. »

Tel fut du moins son langage public ; mais dans l’intimité il se félicitait de l’apparition de cette comète, née, disait-il, pour lui, et dans laquelle il naissait à son tour : à vrai dire, ce fut un bonheur pour la terre. Il y a des auteurs qui pensent que les comètes sont des astres durables, qui ont leur propre orbite, mais qui ne sont visibles que lorsque le soleil les a abandonnés; d’autres, au contraire, supposent qu’elles sont le produit du concours fortuit de l’humidité et de la force ignée, et que, en conséquence, elles se dissolvent. (…)

XXV. Il y a aussi des torches flamboyantes, visibles seulement quand elles tombent, comme celle qui, en plein midi, traversa le ciel aux yeux du peuple pendant les combats de gladiateurs donnés par le César Germanicus. On en distingue deux espèces : les lampades  (2), qui sont tout simplement des torches, et les bolides, comme on en vit lors des désastreux événements de Modène. (…)

XXVI. On voit aussi flamboyer des poutres, doques en grec, telles qu’il en apparut lorsque les Lacédémoniens, vaincus sur mer, perdirent l’empire de la Grèce. (395 av. J.-C.) Il se fait aussi dans le ciel lui-même des crevasses qu’on appelle chasma.

XXVII. On a encore observé des incendies couleur de sang, se dirigeant vers la terre. Rien de plus terrible que ce phénomène aux yeux des mortels épouvantés ; on en vit un semblable l’an III de la cent septième olympiade, lorsque le roi Philippe ébranlait la Grèce.

Pour moi, je crois que ces météores se manifestent, comme le reste, à des époques réglées, et qu’ils sont indépendants des causes variées, fruit d’une imagination subtile, auxquelles la plupart les attribuent. Ils furent, sans doute, le présage de grandes catastrophes ; mais je pense que ces catastrophes ne surviennent pas à cause des météores ; les météores apparurent parce qu’elles étaient prochaines. Ce qui cache la loi de leur reproduction, c’est qu’ils sont rares ; cela empêche qu’ils ne soient connus comme le sont les levers des planètes ci-dessus indiqués, les éclipses, et beaucoup d’autres phénomènes. »

****************

(1) trine aspect : aspect que présentent deux planètes éloignées l’une de l’autre du tiers du zodiaque

(2) le terme signifie « torches » en grec

Traduction : Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre 2, édition d’Émile Littré et Désiré Nisard, Paris, Dubochet, 1848-1850

Image : extraite de A beginner’s star-book ; an easy guide to the stars and to the astronomical uses of the opera-glass, the field-glass and the telescope, Edgar Gardner Murphy, 1869-1913, p. 92, sur Internet Archive

* Traduction de la légende : « Les Grecs appellent comètes, les Romains étoiles chevelues, des astres qui inspirent la terreur par une crinière couleur de sang, et qui semblent hérissés sur le sommet »….

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