« C’est n’être nulle part que d’être partout » : que l’immobilité est un bien

Distringit librorum multitudo…*

A la frustration du moment de ne pas pouvoir sortir de chez soi, Sénèque nous rétorque que c’est là où nous sommes le mieux, au milieu de lectures finement et utilement choisies, et d’amis fidèles. En somme, une consolation, mieux, une exhortation à l’immobilité et au retour à soi, pascalienne si elle n’était stoïcienne. Avec cette seconde lettre à Lucilius, revenons à l’indispensable choix du nécessaire…

« Des voyages et de la lecture.
Ce que tu m’écris et ce que j’apprends me fait bien espérer de toi. Tu ne cours pas çà et là, et ne te jettes pas dans l’agitation des déplacements. Cette mobilité est d’un esprit malade. Le premier signe, selon moi, d’une âme bien réglée, est de se fixer, de séjourner avec soi. Or prends-y garde : la lecture d’une foule d’auteurs et d’ouvrages de tout genre pourrait tenir du caprice et de l’inconstance. Fais un choix d’écrivains pour t’y arrêter et te nourrir de leur génie, si tu veux y puiser des souvenirs qui te soient fidèles.

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« Il est temps, Hécate…. »

…et triste laeua comparans sacrum manu
pestes uocat quascumque feruentis creat harena Libyae…*

Tremblez devant Médée la magicienne, invocatrice des forces infernales, emplie d’une « furor » qui noie sous des flots de haine et de rage la raison et la décence commune.

Après avoir aidé Jason, dont elle est tombée éperdument amoureuse, à s’emparer de la Toison d’or, Médée a fui avec son héros et les Argonautes à Corinthe, chez le roi Créon. Mais Jason l’abandonne, il va épouser Créuse, la fille de Créon. C’est bien mal connaître Médée, qui a quitté sa patrie, trompé son père et dépecé son jeune frère Absyrtos de ses propres mains pour favoriser la réussite de son amant, de croire qu’elle va accepter cette trahison sans « tout briser »…

Dans l’acte IV de l’extraordinaire Médée de Sénèque, la magicienne « déploie toute (la) puissance et toutes (les) ressources » de sa magie et en appelle à Hécate sous les yeux horrifiés de sa nourrice….

La nourrice

– Mon âme est saisie d’horreur et d’effroi ; un malheur affreux se prépare. Le courroux de Médée s’augmente et s’enflamme d’une manière effrayante, et ses fureurs passées renaissent. Je l’ai vue souvent, dans ses transports, attaquer les dieux, et forcer le ciel même à lui obéir ; mais ce qu’elle médite en ce moment doit être plus terrible encore et plus étrange : car à peine s’est-elle échappée d’ici, d’un pas furieux, pour se renfermer dans son funeste sanctuaire, qu’elle a déployé toute sa puissance, et mis en œuvre des secrets qu’elle-même avait toujours redoutés, et tout ce qu’elle connaît de maléfices cachés, mystérieux, inconnus.

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